Il était déjà 9 heures ce matin-là, j’étais dans l’attente que l’on vienne me
chercher pour cette première séance. Je commençais à somnoler, lorsqu’un bruit
sourd m’a sorti de ma léthargie. Mes yeux à peine ouverts se sont tournés vers
la porte d’entrée. L’image était un peu floue, mais j’ai cru apercevoir une
chaise surmontée de deux grosses roues et derrière elle, deux brancardiers.
Je ne rêvais pas, il s’agissait bien d’un fauteuil
roulant. Je ne voulais pas quitter mon lit d’hôpital pour ce fichu fauteuil, où
je me sentirais encore plus handicapé. Ma gorge était tellement serrée, qu’aucun
mot ne sortait de ma bouche. Je reste là à fixer ce terrible engin. De longues
minutes sont passées avant qu’un brancardier, comprenant le malaise, me demande
gentiment si j’étais prêt pour ma séance de kiné. Avais-je vraiment le
choix ? J’aurais préféré m’y rendre allongé. Cela peut paraître bizarre,
mais étendu sur un lit, j’étais un malade comme un autre.
Après leur avoir signifié mon accord par un simple
hochement de tête, je me suis retrouvé dans les bras de l’un de ces deux grands
gaillards, qui m’a déposé dans le fauteuil roulant, comme on mettrait un jeune
enfant dans une poussette. Je ne faisais qu’un avec celui-ci, le sourire est
une option que j’aurais dû prendre. Il a passé une sangle autour de mon abdomen,
m’enserrant pour éviter la chute!
Une fois dans ce long couloir, je maudissais tous les
gens que je croisais sur mon chemin, les gens « normaux », ceux qui
se tenaient sur leurs deux jambes. Je les regardais marcher.
Ils ne connaissaient pas leur bonheur. Moi aussi, j’avais
eu la chance d’être debout. Je me revoyais lorsque je faisais mon footing du
samedi matin, et que la route défilait sous mes pieds. Mais là c’étaient les
chiffres rouges de l’ascenseur indiquant les étages qui défilaient devant mes
yeux. Le trajet m’a semblé long, je me demandais vraiment ce qui m’attendait.
Lorsque les portes se sont ouvertes, un grand hall au
carrelage d’un blanc brillant se profilait devant moi. Comme dans une
fourmilière, les fauteuils, les brancards et les patients soutenus par des
professionnels en blouse blanche circulaient dans un désordre organisé.
Derrière eux se dessinait le contour de portes qui donnaient je ne savais où. Après
avoir traversé ce flot de quidams, nous avons accédé à une salle immense, très
éclairée, et peuplée d’appareils semblables à des instruments de torture. Je me
retrouvais au milieu de nulle part. Les regards se sont tournés vers moi et plus
particulièrement celui d’un homme en fauteuil roulant, trapu, portant une
moustache à la Tom Selleck. Ses yeux me mitraillaient, il en ressortait de
la haine, comme une envie d’affrontement. Cette première approche m’a glacé et a
entaché le peu de moral qu’il me restait.
Un brancardier a annoncé brièvement mon arrivée d’une
voix tonitruante : « M. Maldémé est là ! » Puis il m’a
adressé un petit sourire, accompagné d’un clin œil amical. « Allez mon
piot ! Je te laisse entre les mains des kinés, accroche-toi. » Les quelques
mots sympathiques de ce grand gaillard m’ont redonné un léger sourire.
J’observais à mon tour les patients présents. L’un n’avait plus de jambes,
l’autre plus de bras, un autre plus de doigts.
D’autres me ressemblaient un peu plus, des quadriplégiques,
des paraplégiques.
Cela me désolait, jamais je n’aurais pu imaginer qu’il
puisse y avoir des endroits, où le désespoir et l’espoir s’entremêlaient ainsi,
ni qu’autant de malheur puisse exister. Avant, lorsque je croisais une personne
handicapée, j’étais loin de m’imaginer le chemin qu’elle avait parcouru pour en
arriver là, et surtout dans quel état d’esprit elle pouvait être.
Un kiné s’est déplacé avec hésitation vers moi :
— « Monsieur
Antoine Maldémé est là ?
— Oui,
je suis là. »
Une fois à ma hauteur, il s’est présenté :
— « Bonjour !
Je m’appelle Dominique, je suis un des kinés de ce centre. C’est moi qui vais
m’occuper de toi. »
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