Dans l’après-midi, l’infirmière m’a annoncé que j’allais
avoir de la visite, mais qu’elle ne pourrait excéder cinq minutes, au vu de mon
état. Mon père et mon frère avaient eu droit à cette première. Ils étaient revêtus
de blanc eux aussi, avec en prime, une charlotte sur la tête. En les
apercevant, j’ai esquissé un petit sourire. En temps normal je me serais moqué
d’eux. J’avais à peine la force de parler, mes cordes vocales étaient irritées
par l’opération, ce qui rendait ma voix aiguë. Dominique a commencé par dire
des futilités avant de me parler de ma moto. Puis il m’a transmis les
salutations d’amis et de voisins…
Mon père, lui, devenu presque muet par la tristesse,
se contentait de me regarder en ébauchant quelques petits sourires.
Ces quelques minutes ont vite touché à leur fin. Ils
m’ont dit au revoir très brièvement en me promettant de revenir vite. Je les ai
regardés partir les yeux vides. Mais à peine avaient-ils disparu de mon champ
de vision, que mes yeux se sont embués de larmes. Je me sentais coupable de
leur infliger ce malheur.
J’appréhendais également beaucoup la venue de ma mère,
car je connaissais sa sensibilité et ses difficultés à cacher ses émotions.
Très vite, le sommeil a repris le dessus, mes yeux se sont refermés sur l’image
de mes proches dans la douleur.
Le
lendemain midi, on m’a amené mon déjeuner. Une aide-soignante s’est installée à
mes côtés pour m’assister. Le plaisir de manger n’était pas totalement là,
j’étais heureux de pouvoir sentir le goût des aliments, mais ce repas était
gâché, car chaque bouchée était introduite par une main étrangère. Cette
dépendance signifiait malgré tout que j’allais pouvoir quitter les soins
intensifs, car mon état semblait satisfaisant.
Par la même occasion, une infirmière m’avait débarrassée
de tous les appareils branchés, et aussi qu’elle allait me retirer les drains
placés à plusieurs endroits du corps, que cela risque de tirer et de faire un
peu mal. J’attendais les yeux fermés qu’elle commence son travail, et à un
moment elle me dit que c’était terminé. Très surpris, je lui avais fait part
que je n’avais rien du tout senti. J’étais un peu horrifié de constater que
tout cela n’engendrait pas la moindre douleur ni réaction de mon corps. J’avais
perdu toute ma sensibilité, je ne sentais plus mon corps ! Cet état et
cette vision me rebutaient, seul mon esprit répondait par la désolation.
Vers 15 heures, deux brancardiers sont arrivés pour
m’emmener vers ma nouvelle chambre. Allez, encore un petit tour de brancard, je
commençais à y prendre goût ! Nous avons parcouru des kilomètres de
couloir dans les méandres de cet hôpital. J’ignorais comment le personnel
faisait pour ne pas se perdre dans ce labyrinthe. Enfin, arriver dans mes
nouvelles loges. La chambre qui m’était destinée était immense, sombre, au
papier peint jauni par le temps, beaucoup plus froide et moins accueillante que celle
des soins intensifs. Elle contenait six lits, dont cinq était occupés. À mon
passage, les patients et les visiteurs m’observaient et le silence s’est fait.
Il y a des
moments de grande solitude dans la vie et celui-ci en faisait partie. J’ai
horreur que l’on me regarde comme ça, un peu de discrétion Messieurs, Dames
S’il vous plait !
Une fois que j’ai été installé dans un lit, j’ai entendu le
son d’une télé, c’était le discours de François Mitterrand pour les
élections présidentielles. Bien que l’appareil soit dans ma chambre, les seules
images que je pouvais voir étaient celles d’un plafond très haut, blanc ou
plutôt gris.
Les rires des personnes présentes ne faisaient qu’accroître
le mal qui me submergeait, tout me devenait insupportable. Pourrais-je un jour
éclairer mon visage avec la lueur d’un sourire? Je me sentais amoindri, les
larmes inondaient mon visage, sans que je puisse les essuyer.
Je ne voulais pourtant pas montrer ma tristesse et mon
désarroi, mais malheureusement ma sœur est arrivée à ce moment précis. Difficile
dans ma position de cacher quoi que ce soit. Le chagrin régnait autour de ce
lit, il n’y avait rien à dire, rien à faire. Seulement satisfaire mes besoins élémentaires.
C’était
terrible cet état de tête sans corps !
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