Après avoir posé sa main sur mon épaule, il a pris les
commandes du fauteuil roulant. Nous nous sommes dirigés vers une table qui
ressemblait à une table d’auscultation.
— « C’est
une table de verticalisation qui vise à faciliter le transfert d’une position allongée
à une position assise, ou d’une position assise à la station debout. Cet
appareil s’incline en douceur, en prévision des vertiges ou des chutes de
tension brutales. Puis au fur et à mesure, je la place en position verticale. Surtout,
dès que tu ne te sens pas bien, tu m’appelles. C’est clair pour toi ?
— Oui,
j’ai compris. » J’essayais de cacher mon appréhension.
— « Annick !
Peux-tu m’aider à allonger M. Maldémé ?
Une petite femme aux cheveux courts
et châtain clair est arrivée d’un pas vif pour l’aider à me transférer sur la
table. Je me retrouvais de nouveau saucissonné. Arrivé à un certain degré
d'inclinaison, je commençais à voir trente-six chandelles ! Je me sentais
vraiment très mal, prêt à tomber dans les pommes !
J’ai hélé Dominique, qui s’est
précipité vers moi. Sa démarche me faisait penser à celle d’un somnambule, son
regard était vide. Ses mains cherchaient à tâtons la manivelle afin de me
remettre dans une position un peu plus horizontale.
Il
avait failli me redonner goût à la station debout !
C’est durant ce moment où mon corps
était attaché à cette machine que l’étendue de mon handicap et la réalité de
mon nouveau corps m’ont frappé en pleine figure. Pourrais-je à nouveau me tenir
debout ? Mes dysfonctionnements me laissaient dans un état de dépendance
et d’incertitude. Ma première séance de kiné s’est cantonnée à cela ! Les
brancardiers appelés par Dominique sont venus me chercher afin de me
raccompagner dans ma chambre.
Peu de temps après, mon père est arrivé. Je n’avais pas
envie de raconter ma journée qui n'avait pas été très enrichissante. J’étais
surtout épuisé moralement ! La partie engagée n'était pas encore gagnée.
Mon père n’est pas resté longtemps, voyant que mon accablement me pesait. Le
pauvre, il avait fait plus de cinquante kilomètres pour me voir une demi-heure seulement.
Cela me peinait, je me suis excusé. Mais il m’a fait comprendre qu’il avait pu
voir son fils et que c’était la seule chose qui comptait à ses yeux.
Mon entourage, qui essayait de partager ma souffrance et
de donner le meilleur de lui-même, devait mener tout un travail d’adaptation à une
réalité nouvelle et déstabilisante.
Ils ne me reconnaissaient plus. Et moi aussi, je
souffrais d’une perte d’identité ! Je n’étais plus le même, j’étais
diminué physiquement et mon for intérieur refusait de l’admettre. Toutes les
aides me devenaient insupportables et me renvoyaient à mes faiblesses ! Cette
assistance me dérangeait, je le ressentais comme de l’empathie, mais parfois
aussi comme de la pitié ! Du jour au lendemain, ma relation avec mes
proches a été bouleversée. Ceci me renvoie à ma sœur qui, à 23 ans, avait
mis sa vie entre parenthèses depuis mon accident.
L’éloignement physique de ma mère et la détresse de mon
père faisaient prendre à cette jeune femme le relais de mes parents. Elle
gérait de front le quotidien (les rendez-vous et les formalités administratives
inhérents à une hospitalisation !)
Et surtout, elle apaisait les peurs et essuyait les pleurs.
Elle m’accompagnait et vivait mes victoires comme mes
défaites, avec du cœur et de la sensibilité. Elle m’encourageait fortement à
poursuivre la lutte ! Chaque jour, après avoir quitté son travail à 19 heures,
elle parcourait plus de cent kilomètres pour venir me rendre visite. J’ai pris
conscience des difficultés qu’elle devait surmonter et des responsabilités
qu’elle devait prendre si jeune !
Quand je perdais confiance en moi, elle était là pour me
redonner du courage. Une aide si précieuse au moment où je ne croyais plus en
rien !
Merci Sylviane pour le temps que tu m’as donné si généreusement.
J’appréciais
également beaucoup les visites de mon frère et celles de mon meilleur ami
Olivier. J’étais beaucoup moins dans l’émotion avec eux. Nos discussions
étaient plus légères, nous plaisantions beaucoup. Olivier osait blaguer sur mon
fauteuil roulant ! Le comparant à une moto avec des roulettes, tout en me
poussant à vive allure dans les couloirs. Il essayait de me remonter le moral
en ironisant gentiment sur mon état. Notre complicité était restée identique à
celle du passé, son comportement n’avait pas changé depuis l’accident. Il en
allait de même pour mon frère, qui restait égal à lui-même. Rien n’avait
changé, il ne s’apitoyait pas sur mon sort, même si me voir dans un état pareil
l’attristait éperdument. Il tenait toujours aussi bien son rôle de grand frère,
comme il avait toujours su le faire.
Tout cela me
faisait du bien sur le moment, je me surprenais même à rire de nouveau de bon
cœur. Mais le retour à la réalité me faisait replonger presque instantanément
dans l’amertume, sans que je n’y puisse rien changer. Et le soir, la fatigue se
mêlait à tout ça, je ne pouvais plus suivre une conversation, tout m’échappait,
tellement je me sentais anéanti, épuisé.
Le moindre
effort, tant physique que moral, absorbait le peu d’énergie qu’il me restait. J’avais
perdu douze kilos depuis mon opération. J’aimais le sommeil, il était pour moi
un excellent refuge, un ami que j’attendais chaque soir, une échappatoire, une
seconde vie, qui me porte dans un monde invisible.
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