Extrait du livre N° 12 L'accident



Ces pompiers, des hommes remplis de délicatesse, ont opéré en silence, chaque geste était précis et chacun avait un rôle bien déterminé. Dans cette caserne, il n’y avait que des pompiers volontaires. Tous avaient un métier et devaient le quitter parfois pour intervenir sur le terrain. J’admire leur volonté, leur courage, leur sang-froid et leur détermination à sauver des vies.

  

Le chef de corps est intervenu, me disant qu’il ne fallait pas que je m’inquiète et surtout n’opposer aucune résistance. Ils avaient la situation bien en main, mais devaient prendre un maximum de précautions pour réussir à me déplacer. La tâche allait être délicate.
Mon regard était plongé vers un horizon d’un monde oublié, je regardais sans voir, et je pensais sans réfléchir, je n’écoutais que le murmure des hommes du feu agenouillés à mes côtés. J’avais oublié mon corps, et je m’étais juste laissé porter un court instant de mon existence. Je m’étais isolé dans la plénitude pendant l’instant d’un moment volé à ma vie.
J’étais allongé sur le côté droit, mon bras complètement coincé sous mon corps, les jambes croisées. Plus d’une demi-heure immobilisé dans cette position, j’étais à bout. Il était temps de bouger et d’être enfin dans l’ambulance. Les pompiers ont installé près de moi la coquille qui allait servir pour me transporter. L’un d’eux a placé une minerve rigide autour de mon cou avec beaucoup de prudence. Ensuite, ils m’ont retourné d’un quart de tour pour que je sois sur le dos, afin de me placer correctement dans la coquille. Il leur fallait procéder avec finesse et surtout que leurs gestes soient synchrones. L’équipe attendait les ordres du pompier qui coordonnait la manœuvre. Ils m’ont soulevé puis reposé plusieurs fois, car tout ne se déroulait pas comme prévu. La tension était un peu montée entre eux. Après plusieurs tentatives, André a décidé de prendre l’intervention en main. Celle-ci était très complexe, car le moindre mauvais geste de leur part aurait pu m’être fatal ! Ma vie ne tenait qu’à un fil.
« Quand la vie ne tient qu'à un fil, c’est fou le prix du fil ! »

(Daniel Pennac)


Plus rien ne m'angoissait, j’étais sans voix, sans espérance, et presque sans vie. J’abandonnais enfin le bitume, pour voir à nouveau le ciel bleu au-dessus de ma tête pendant un court instant, le temps d’entrer dans le VSL (véhicule sanitaire léger).
Le manque d’air m’oppressait. Pour me soulager, le chef de corps a retiré mon casque délicatement, d’un geste mesuré et très minutieux. Une bouffée d’oxygène est venue en moi. Cette sensation de bien-être, aussi ténue soit-elle, m’a redonné un peu de vie. Peu de vie qui me fut volée par un gendarme tenant absolument à me faire souffler dans un éthylotest et m’ôter le peu d’air que j’avais tant attendu. Un sentiment d’agression m’a envahi, de victime, je devenais coupable ! Malgré tout je ne pouvais que me plier aux ordres. Le résultat était négatif, bien évidemment. Une fois tous ces douloureux moments passés, les portes du véhicule se sont refermées devant les yeux des curieux. Pour eux, le spectacle était fini, alors que pour moi c’était le début d’une tragédie.

« La tragédie, c’est l’avènement de l’inconcevable dans chaque existence »

(Dominique de Roux)

Le véhicule des pompiers a quitté doucement les lieux pour prendre la direction du centre hospitalier le plus proche, à Saint-Dizier, à environ 25 kilomètres. Peu de temps après le départ, nous nous sommes arrêtés. Pourquoi s’arrêtait-il ? 
 La porte s’est ouverte et j’ai aperçu la voiture de mon père, accompagné de mon oncle Michel. Au même moment, deux personnes en blouse blanche sont montées dans le VSL. C’était des médecins du SAMU. Pris de nouveau par l’angoisse, j’ai compris que mon état était grave. Les médecins m’ont examiné sous toutes les coutures, m’injectant des calmants pour me tranquilliser et un antidouleur.
Les véhicules sont restés immobilisés plus d’une demi-heure le long de la route, les gyrophares allumés. Le va-et-vient des médecins et des pompiers inquiétait mon père. Il s’est approché du VSL, mais a été freiné par un pompier. Je pense qu’il venait chercher des explications. Quoi de pire pour un parent que de savoir son enfant derrière ces portes, d’être dans l’incapacité absolue d’agir, faisant face à l’inconnu  le cœur empreint de faiblesse. Les véhicules sont finalement repartis, avertissant les autres usagers de leur passage à chaque croisement.
Le trajet s’éternisait, un froid intense a secoué mon corps, je restais muet, les yeux dans le vague, avec une irrépressible envie de dormir. Afin de lutter contre cet assoupissement, les pompiers blaguaient, en reprenant des anecdotes que nous avions partagées ensemble. J’aurais aimé rire avec eux, mais mon visage n’esquissait qu’un léger sourire !

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