Ces pompiers, des hommes remplis de délicatesse, ont
opéré en silence, chaque geste était précis et chacun avait un rôle bien
déterminé. Dans cette caserne, il n’y avait que des pompiers volontaires. Tous
avaient un métier et devaient le quitter parfois pour intervenir sur le terrain.
J’admire leur volonté, leur courage, leur sang-froid et leur détermination à sauver
des vies.
Le chef
de corps est intervenu, me disant qu’il ne fallait pas que je m’inquiète et
surtout n’opposer aucune résistance. Ils avaient la situation bien en main,
mais devaient prendre un maximum de précautions pour réussir à me déplacer. La
tâche allait être délicate.
Mon regard était plongé vers un horizon d’un monde
oublié, je regardais sans voir, et je pensais sans réfléchir, je n’écoutais que
le murmure des hommes du feu agenouillés à mes côtés. J’avais oublié mon corps,
et je m’étais juste laissé porter un court instant de mon existence. Je m’étais
isolé dans la plénitude pendant l’instant d’un moment volé à ma vie.
J’étais allongé sur le côté droit, mon bras complètement
coincé sous mon corps, les jambes croisées. Plus d’une demi-heure immobilisé
dans cette position, j’étais à bout. Il était temps de bouger et d’être enfin
dans l’ambulance. Les pompiers ont installé près de moi la coquille qui
allait servir pour me transporter. L’un d’eux a placé une minerve rigide autour
de mon cou avec beaucoup de prudence. Ensuite, ils m’ont retourné d’un quart de tour pour que
je sois sur le dos, afin de me placer correctement dans la coquille. Il leur
fallait procéder avec finesse et surtout que leurs gestes soient synchrones. L’équipe
attendait les ordres du pompier qui coordonnait la manœuvre. Ils m’ont soulevé puis
reposé plusieurs fois, car tout ne se déroulait pas comme prévu. La tension était
un peu montée entre eux. Après plusieurs tentatives, André a décidé de prendre
l’intervention en main. Celle-ci était très complexe, car le moindre mauvais
geste de leur part aurait pu m’être fatal ! Ma vie ne tenait qu’à un fil.
« Quand
la vie ne tient qu'à un fil, c’est fou le prix du fil ! »
(Daniel Pennac)
Plus rien ne m'angoissait, j’étais sans voix, sans
espérance, et presque sans
vie. J’abandonnais enfin le bitume, pour voir à nouveau
le ciel bleu au-dessus de ma tête pendant un court instant, le temps d’entrer
dans le VSL (véhicule sanitaire léger).
Le manque d’air m’oppressait. Pour me soulager, le chef
de corps a retiré mon casque délicatement, d’un geste mesuré et très minutieux.
Une bouffée d’oxygène est venue en moi. Cette sensation de bien-être, aussi ténue
soit-elle, m’a redonné un peu de vie. Peu de vie qui me fut volée par un
gendarme tenant absolument à me faire souffler dans un éthylotest et m’ôter le
peu d’air que j’avais tant attendu. Un sentiment d’agression m’a envahi, de
victime, je devenais coupable ! Malgré tout je ne pouvais que me plier aux
ordres. Le résultat était négatif, bien évidemment. Une fois tous
ces douloureux moments passés, les portes du véhicule se sont refermées devant
les yeux des curieux. Pour eux, le spectacle était fini, alors que pour moi c’était
le début d’une tragédie.
« La
tragédie, c’est l’avènement de l’inconcevable dans chaque existence »
(Dominique
de Roux)
Le véhicule des pompiers a quitté doucement les lieux pour
prendre la direction du centre hospitalier le plus proche, à Saint-Dizier, à
environ 25 kilomètres. Peu de temps après le départ, nous nous sommes
arrêtés. Pourquoi
s’arrêtait-il ?
La porte s’est
ouverte et j’ai aperçu la voiture de mon père, accompagné de mon oncle Michel.
Au même moment, deux personnes en blouse blanche sont montées dans le VSL.
C’était des médecins du SAMU. Pris de nouveau par l’angoisse, j’ai compris que
mon état était grave. Les médecins m’ont examiné sous toutes les coutures,
m’injectant des calmants pour me tranquilliser et un antidouleur.
Les véhicules sont restés immobilisés plus d’une
demi-heure le long de la route, les gyrophares allumés. Le va-et-vient des
médecins et des pompiers inquiétait mon père. Il s’est approché du VSL, mais a
été freiné par un pompier. Je pense qu’il venait chercher des explications. Quoi
de pire pour un
parent que de savoir son enfant derrière ces portes, d’être dans l’incapacité
absolue d’agir, faisant face à l’inconnu le cœur empreint de faiblesse. Les véhicules
sont finalement repartis, avertissant les autres usagers de leur passage à
chaque croisement.
Le trajet
s’éternisait, un froid intense a secoué mon corps, je restais muet, les yeux dans
le vague, avec une irrépressible envie de dormir. Afin de lutter contre cet assoupissement, les pompiers
blaguaient, en reprenant des anecdotes que nous avions partagées ensemble.
J’aurais aimé rire avec eux, mais mon visage n’esquissait qu’un léger sourire !
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